Le tunnel à bateaux de Godarville

Dans la première moitié du dix-neuvième siècle, l’industrie charbonnière de la région de Charleroi connut un essor fulgurant, aidée en cela par l’installation de machines à vapeur pour l’épuisement des eaux et bientôt pour l’extraction. Mais le développement économique de la région était singulièrement compromis par le fait que l’écoulement des charbons vers la capitale ou la France ne pouvait se faire que par des voiries à peine carrossables.

Pour améliorer la situation, l’ingénieur Vifquin étudia la possibilité de creuser un canal à gabarit de 60 tonnes entre Charleroi et Bruxelles. Deux écueils se présentaient : le profil du canal serait montant de Charleroi à Gouy, lieu de la crête de partage Vallée du Piéton-Vallée de la Samme et descendant de Gouy jusqu’à Bruxelles (Molenbeek Saint-Jean), ce qui nécessitait pour les deux parties du parcours l’établissement de pas moins de 55 écluses. Le second écueil était le franchissement de la crête de partage au lieu dit «Bête Refaite». La solution retenue pour résoudre ce problème fut le creusement d’un tunnel de 1267 mètres. Pour cette entreprise, les bâtisseurs du canal rencontrèrent de nombreuses difficultés, notamment par la présence de sables mouvants à cet endroit.

Finalement, le canal fut inauguré en 1832 et fut parcouru exclusivement par un seul type d’embarcations, tractés par des hommes ou des chevaux, les "baquets de Charleroi", conçus spécifiquement pour franchir le tunnel de Bête Refaite. Un trajet entre Charleroi et Bruxelles durait de deux à trois jours ! Bien vite le canal initial s’avéra insuffisant et il fallut envisager le creusement d’un nouveau au gabarit de 300 tonnes, dont certains tronçons seraient établis parallèlement à l’ancien. Le franchissement de la crête de partage demeurait entier : après l’étude d’un projet d’ascenseur hydraulique, c’est de nouveau la solution du creusement d’un nouveau tunnel de 1049 mètres qui fut retenue. Les mêmes difficultés s’opposèrent à nouveau au personnel chargé du fonçage : aussitôt, ils furent confrontés aux sables mouvants et aux venues d’eau. Ce nouvel ouvrage de 3 mètres 80 de section fut opérationnel en 1886, soit quatre ans après le début des travaux.

 
     
   
 

 

Le nouveau canal permit la navigation des péniches de 300 tonnes, mais le temps de parcours de Charleroi à Bruxelles restait très élevé, plus d’un jour dans le meilleur des cas. Le tunnel de Godarville représenta rapidement un goulet d’étranglement : il ne permettait son franchissement qu’à sens unique et par seulement une péniche à la fois, qui devait de surcroît être pilotée durant le parcours. L’éclairage était insuffisant et l’apparition dans les années 1930 des péniches motorisées qui enfumaient littéralement l’intérieur du tunnel ne facilitait pas les choses. Son entretien commença aussi à poser des problèmes...

 

 
   
     
   
     
   
     
   
     
   
     
   
     
   
     
 

Entre-temps, on décida de porter le canal au gabarit de 1350 tonnes. Il était hors de question de conserver un nombre élevé d’écluses, et encore moins de recourir de nouveau à la solution du tunnel pour le franchissement de la crête de partage. Il fut décidé de la franchir par une énorme tranchée parallèle à l’ancien tracé. C’est ainsi que le tunnel de Godarville vit son dernier bateau le traverser en 1958.

Aujourd’hui, le tunnel est toujours là et est parcourable de bout en bout par son chemin de hallage. Il est toujours sous eau jusqu’au trois quart de son tracé, endroit où son lit a été comblé. L’entrée côté Bruxelles est toujours intacte, tandis que celle côté Charleroi est remblayée jusqu’à la moitié de sa hauteur.

 

 
   
     
 
Une fois la première appréhension passée, une fois apprivoisés les bruits inquiétants et obsédants d’écoulement d’eau, on peut entrer dans le tunnel, même si c’est théoriquement interdit. L’intérêt principal de cette intrusion réside dans la présence de coulées ferrugineuses aux magnifiques couleurs et d’étonnantes concrétions calcaires au sol, dont certaines ressemblent à des aliens !
 
     
   
     
 
 
     
 
 
     
   
     
 
 
     
 
 
     
 
Pour réaliser ces prises de vues, je n’ai pas utilisé de flash, afin d’éviter une surexposition monstrueuse. C’est un ami qui a amené un éclairage constitué d’un tube fluorescent, qui, correctement dirigé, a parfaitement fait l’affaire. La délicatesse s'impose afin de ne pas abîmer les magnifiques concrétions.