Le train 380, sacrifié sur l'autel des restructurations

Dans les années qui suivirent l'après guerre, la sidérurgie carolorégienne connut une croissance continue. Même le déclin des charbonnages ne réussit pas à la ralentir. L'ascension dura jusqu'à la fin des années 1960. Chaque entreprise livrait une concurrence quasi féroce à sa voisine et chacune d'elles voulait posséder ses propres outils de diversification : laminoirs à profilés lourds, laminoirs à produits plats, trains à fils, trains à petits profilés et bien d'autres, au point que c'en était devenu une véritable course aux armements, bref, tous voulaient fabriquer les mêmes produits. Le simple bon sens aurait voulu que chaque entreprise d'une même région se spécialise - comme c'est le cas maintenant - dans une production bien spécifique, mais la soif de profit et l'euphorie de la croissance aveuglaient les responsables.

Le laminoir Train 380, implanté par la "Métallurgique Hainaut-Sambre" aux confins de Couillet et de Châtelet, faisait partie de ces outils construits à la toute fin des années 1960, dans l'enthousiasme, alors que déjà des spécialistes mettaient en garde sur une possible et prochaine récession, d'autant plus que certaines entreprises, autrefois concurrentes avaient fusionné, formant des consortiums possédant plusieurs fois les mêmes outils. Le déclin vint en 1974, mais surtout en 1975 où la sidérurgie carolorégienne plongea dans une profond marasme duquel elle ne sortit que 15 ans plus tard. Entretemps, des sites entiers passèrent à la trappe, tel ce train 380 qui fabriquait des poutrelles de petit et moyen calibres, des produits en surproduction, car déjà fabriqués par plusieurs autres implantations. Malgré le caractère récent de ses installations, il fut un des premiers à être fermé dans la seconde moitié des années 1970.

 
     
   
     
   
     
   
     
   
     
   
     
   
     
   
     
   
     
   
     
 

Je me souviens être passé à côté de ce lieu, à l'occasion d'un voyage en train, un soir d'été 1973. Vision d'une usine pleine de vie, on pouvait voir l'intérieur des immenses halls éclairés et qui ressemblaient à des ruches bourdonnantes : des barres d'acier rougeoyantes, des wagons que l'on chargeait... A ce moment, personne ne croyait au déclin prochain, sauf quelques esprits plus éclairés... Peu de temps après, c'était l'abandon et le vandalisme qui l'accompagne toujours, puis des activités douteuses de recyclage de déchets; bref, tout ce qui tend à donner d'un site industriel désaffecté une image apocalyptique d'un monde en perdition.

Après être passé tant de fois le long des halls bleus lorsque je prends le train pour aller de Charleroi à Châtelet, je suis allé explorer la friche du train 380 avant sa prochaine disparition. Les bâtiments sont déserts et ne forment plus qu'une coquille vide ou presque; le laminoir en lui-même a sans doute pris la direction de cieux plus cléments, la Chine peut être... Ne subsistent que les ponts roulants et quelques équipements accessoires. Malgré le vide et la désolation, on ressent pourtant toujours étrangement l'ambiance des beaux jours de la sidérurgie... Est-ce à cause de l'odeur de l'huile de machine toujours prégnante? Est-ce le gigantisme des lieux qui induit ce sentiment, ou est-ce la lumière du jour qui traverse les immenses baies ménagées dans les toitures et qui tente d'imiter les lueurs du passé ?