Automorbides

Une sapinière au milieu d’une prairie, dans un coin perdu au fin fond de la Belgique. Du chemin où je suis, on ne se doute de rien, un banal petit bois de sapin, c’est tout...  Je franchis la clôture, traverse la prairie, entre dans la sapinière, et là, je les découvre, mes « automorbides ». Toutes là, des dizaines, telles qu’on les a abandonnées, il y a bien quarante ans. Elles avaient d’abord été clandestines de ce bois, comme un cauchemar pour ecolo même pas rabique. Puis la nature les avait acceptées et intégrées en son sein, mais pour cela, il y avait eu un prix à payer : elle a lentement effacé les peintures, détaché les chromes clinquants, rongé les carrosseries... Aujourd’hui, il n’y a plus de bleus glamour, ou de noirs brillants façon corbillard, et les parechocs ne luisent plus aux quelques rayons qui franchissent le rideau de sapins. Toutes ces caisses de luxe ne sont plus que des carcasses qui se fondent années après années au brun du sol jonché d’épines séchées.  C’est dérisoire et temporaire un signe extérieur de richesse : un temps pour la frime, un autre temps pour être jeté et mourir, quand ce n’est pas dans le gueulard du haut fourneau, c’est au rencard, bouffé, lentement mais sûrement par la rouille... C’est mon enfance qui repasse, lorsque avec mon frère, on s’aventurait dans les casses de vieilles bagnoles. Ce sont les mêmes, trente six ou trente sept ans plus tard, on dirait que le temps s’est arrêté...